Il se gratte inconsciemment, ça le démange. Il baisse les yeux : des fourmis ! Il a mis les pieds près d’un nid de fourmis. Quel crétin !
Il ressent les brûlures d’acide formique comme autant de piqûres d’aiguilles torturant ses chaires.
Une explosion sourde. Une menace ! Aussitôt les Soldats sont sur le qui-vive, dardant leurs abdomens prêts à tirer. Il faut abattre l’intrus. Penser à la communauté. Feu !
Elle l’entend hurler et déjà elle sait qu’elle ne peut plus rien faire pour lui. Elle arrive à sa hauteur, au sein de la végétation dense et le voit, à genoux déjà. Il a arrêté de crier et garde sa bouche fermée, de même que ses yeux.
Les odeurs épicées les affolent. Elles tirent à tout va, cherchant à pénétrer à l’intérieur de l’étranger pour le mettre hors de combat. Là, une ouverture !
Il les sent monter le long de ses jambes, grouiller sur ses bras, sa nuque. Sa peau est devenue une plaie ouverte complètement insensible aux tirs d’acide. Il sursaute lorsqu’il les sent passer entre l’étoffe et son aine. Il se sait perdu, il espère juste que ça ira vite. Déjà l’acide agit comme paralysant. Il ne peut plus rien faire que sentir la nature prendre possession de son corps.
C’est chaud à l’intérieur. C’est plein de vie. Beaucoup de pertes à cause du sang de la proie et de ses sécrétions gastriques. La percée de l’estomac, juste au-dessus de l’ulcère, a provoqué des contractions spasmodiques, rejetant de la bile dans l’organisme.
Elle sait qu’il ne fait déjà plus partie de sa vie, plus partie du monde. Qu’il est trop tard. Et que la souffrance qu’elle ne peut qu’imaginer doit être intolérable. Elle a eu la présence d’esprit d’accourir avec une arme. Mais son esprit est en arrêt. Elle n’arrive pas à reprendre le contrôle de ses membres devant le spectacle qui s’offre à elle.
Elles ont pénétré par les oreilles, d’autres par le nez.
Il les sent en lui, il ne peut rien y faire. Il sait qu’il devrait s’évanouir, ce serait plus facile, moins douloureux, plus rapide, mais justement, il ne le fait pas. Ça ne se décide pas, de toute façon.
Elles ont dépassé les poumons et touchent au cœur. Ce morceau de chaire palpitant attire leur attention. La première se fait un devoir de perforer le ventricule gauche, histoire de jeter un coup d’œil. Certaines s’arrêtent ; un petit nombre de gastronomes continue vers un morceau plus goûteux, en amont du fleuve de sang.
Mal à la poitrine. Réflexe conditionné, il s’étreint avec son bras droit, serrant le gauche de toutes ses forces. Elles ont pénétré dans la bouche, forcément, en passant par le nez. Il mâche, mais elles sont si nombreuses.
Beaucoup de pertes de ce côté. Trop dangereux. Monter ou descendre ? Le choix est partagé. Elles suivent les odeurs des autres. Dans l’œsophage, elles croisent celles qui montent. Echange d’information par les antennes. Une trophallaxie et elles repartent.
Il vit encore. Elle garde ses yeux rivés sur la masse grouillante qui partageait sa couche hier encore. Sa main se crispe sur la crosse du revolver. Le revolver ! Autant abréger ses souffrances… Elle lève le chien, vise ce qu’elle pense être la tête. Feu !
Il tente une dernière fois de se relever, se dresse sur son séant. Il La sent venir, Sa mort. Un éclair de lucidité. Un coin de son œil à peu près intact voit l’éclair du revolver. Une détonation. Merci.
Enfin le banquet ! Une énorme masse aux chaires tendres et fines baignant dans un liquide trouble. Là encore plusieurs morts, mais quel festin !
Pas le temps de planter les mandibules. Un craquement sinistre, un trou, le sang qui gicle, l’explosion d’un objet inconnu. Tout se passe en même temps. Pas le temps d’analyser les données. Elles meurent en même temps que lui, laissant leurs cadavres aux besoins de la communauté. Tout va être absorbé.